Le droit amazighe
Histoire

Le droit amazighe

Parfois la rudesse du milieu géographique et climatique crée une telle cohésion de groupe qu’il est difficile d’y croire sans le voir… Dans les communautés amazigh, cette entraide communautaire s’est organisée et perpétuée dans le droit coutumier local, Al Ourf en arabe, Azerf en tachlehit, qui témoigne parfaitement de l’intrication profonde entre espace et organisation sociale.

La région est depuis toujours marquée par les mouvements de population : nomades des montagnes, nomades du désert, et grandes caravanes ont durant des siècles transité par le village d’Aït Ben Haddou. A ces migrations s’ajoutent celles dues aux récoltes insuffisantes en raison de la sécheresses, celles résultant de  guerres intertribales et parfois aussi d’épidémies.

La gouvernance locale amazighe a ainsi dès ses débuts dû répondre à un défi de taille : organiser de façon stable la cohabitation de différentes tribus dans un milieu naturel relativement rude.

Les communautés amazighes ont mis en place un droit profondément humain fondé sur la solidarité : il est l’émanation de la collectivité et est différent du droit musulman. La justice et la conception unanimiste du pouvoir décisionnel sont au cœur de la philosophie amazighe. Par bien des aspects, ce droit est d’une grande modernité. La prison, la séquestration ainsi que toute forme de châtiment corporel, a fortiori la peine capitale, sont proscrits. Les sanctions délictuelles sont uniquement d’ordre matériel. Pour les mineurs, les sanctions sont morales et éducatives. La sanction suprême est l’exclusion de la communauté, témoignant de l’importance de l’identité collective.

 Aujourd’hui encore, la grande majorité des affaires tant juridiques, économiques, administratives que religieuses se gèrent au niveau du village. Les gros travaux comme l’entretien des canaux ou des rues font l’objet d’un travail collectif deux ou trois fois par an ; en cas de tournages cinématographiques, le travail est distribué équitablement entre les différentes familles du village ; au plan juridique, le règlement des conflits à l’amiable est la règle… Comme mentionné précédemment, cette forme d’organisation sociale trouve son origine dans ce que l’on nomme le tiwizi, “l’entraide”.

A Aït Ben Haddou, toute la gouvernance locale repose sur les cinq premières familles du village : Aït Bahaddou, Aït Ali, Aït Lahssein, Aït Ali Ouhmad et Aït Hmad. Elles sont appelées les « os » (ighes) du village. L’image est parlante, ce n’est pas l’individu mais la famille qui forme le squelette de la société berbère, divergence fondamentale avec les démocraties libérales. Chaque famille choisit annuellement deux représentants issus de leur descendance pour les représenter au sein du Conseil du village (Jmaa ou Aghrad). Siègent également deux représentants du pouvoir central (le cheikh ou amghar et le moqaddem) ainsi que le responsable de la distribution de l’eau (Lamine n’touga), soulignant l’ancrage local de cette gouvernance qui répond avant tout aux besoins quotidiens des populations.

 Encore une caractéristique difficile à concevoir pour les amoureux de la démocratie, les membres du Conseil du village ne sont ni élus ni désignés par les habitants. C’est par consentement tacite des pairs que les membres les plus écoutés, ceux dont l’avis est le plus recherché, accèdent à la fonction de représentants. Le contrôle n’est donc pas exercé par les institutions, supposées représenter le peuple, mais par l’opinion publique, supposée refléter les idées, jugements et attitudes morales et sociales dominant dans la communauté. En parallèle, dans un souci de participation directe de l’ensemble des citoyens, une Assemblée générale rassemblant tous les hommes du village (un homme par famille) se réunit annuellement pour faire un bilan avec les membres du Conseil du village.

La gouvernance amazighe locale est donc un savant mélange entre une participation directe des membres masculins de la tribu aux affaires politiques et une confiance quasi-absolue de ces derniers envers leurs familles fondatrices, leur « squelette ». Pour un étranger, il est impressionnant de voir comment ce droit coutumier a su s’adapter aux formes de gouvernance moderne. Si les villageois ont conservé leur droit coutumier, ils ont également mis à profit le statut juridique de l’association en créant une association du village, Aït Aïssa, pour donner une plus grande visibilité à l’ensemble de leurs projets auprès du pouvoir central.

Vous pourrez en découvrir davantage sur tous ces éléments au cours d’une visite guidée.

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